Acculturation et démarche palliative

Pour un grand nombre d’entre nous, acteurs de soins palliatifs, une ou plusieurs  rencontres  dans un cadre personnel ou professionnel avec un enfant gravement malade et sa famille, ont rendu possible cette clinique de l’extrême dont la plupart se détournent avec crainte voire terreur. Au terme d’une plus ou moins longue réflexion, nous avons ensuite fait le choix éclairé d’y consacrer toute ou partie de notre activité professionnelle.

Grâce à la multiplication des professionnels impliqués, la médecine palliative pédiatrique se développe activement, de la néonatalogie à la réanimation en passant par l’onco hématologie et le neuropédiatrie. Les publications, les travaux de recherche se multiplient et un congrès, comme celui de Montréal, rend compte de cette richesse.

Dans ce contexte dynamique, les Equipes Régionales Ressources en Soins palliatifs Pédiatriques (ERRSPP) ont été financées en France avec pour objectif principal l’intégration de la démarche palliative dans la pratique de l’ensemble des professionnels de santé confrontés à la fin de vie en pédiatrie. Une des missions des ERRSPP, citée dans leur cadre de référence [1], est d’acculturer les équipes pédiatriques à cette démarche.

L’acculturation est définie comme “l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des modifications dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes” [2]. Les auteurs, notamment John Berry [3], insistent sur les différents paramètres faisant varier l’acculturation entre deux extrêmes, l’assimilation  ou absorption d’un groupe par un autre et la séparation ou imperméabilité des contacts.

D’où la complexité de la tâche demandée aux  ERRSPP : il s’agirait ici de favoriser, par des contacts répétés  avec les équipes s’occupant d’enfants gravement malades, les changements de représentation. Hélas, notre système de santé est si cloisonné que la rencontre des différents groupes  qui le constituent est un défi en elle-même.  Trois systèmes coexistent ainsi sans quasiment se rencontrer : la ville et l’hôpital,  le médicosocial et le sanitaire, la pédiatrie et le  soin palliatif.

L’état des lieux [4] des besoins en soins palliatifs mené par PALIPED [5] en Île de France, a apporté un éclairage  sur les modalités possibles de mise en oeuvre de cette acculturation. Les  professionnels ont exprimé avant tout des souhaits de  formations  spécifiques  ainsi que  le développement de la transversalité avec amélioration de la communication entre les équipes  et de la circulation de l’information. L’augmentation des moyens humains et le soutien de l’accompagnement à domicile viennent au second plan.

Pour réussir ce challenge de l’acculturation, nous pourrions être des facilitateurs de la rencontre entre tous ces acteurs autour des enfants maladies et de leurs familles, favorisant les questionnements  de ces regards différents et complémentaires . Animés par la conviction que ces équipes  soignantes sont potentiellement porteuses de ce “savoir être”, il s’agirait ici essentiellement de soutenir leur créativité. Face à ce monde en ébullition, face à la “pression du résultat”, il nous appartient de résister à la tentation du “faire “ pour laisser le temps au changement des représentations  de se produire, dans un mouvement continu.

Ainsi, dans une démarche volontaire telle que nous l’avons nous-même expérimentée, d’autres rejoindront ce que je nommerai avant tout une éthique du soin.

 

Nathalie Niesenbaum

Médecin coordinateur Paliped

 


[1] Cadre de référence pour l’organisation des équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques (errspp). Note validée par le CNP le 17 décembre 2010 – Visa CNP 2010-309
[2] Redfield.R ,Linton.R, Herskovits.MJ , Memorandum on the study of Acculturation, in American Anthropology, n°38, 1936
[3] Berry.J, Acculturation et adaptation psychologique ,in La recherche interculturelle. Tome 1. Paris. L’Harmattan.
[4] Enquêtes menées par questionnaires entre 2008 et 2011 auprès de  13  réseaux de soins palliatifs,   23 Equipes Mobiles de Soins Palliatifs, 23 Instituts Médico Educatifs  et  42 services de pédiatrie d’Île de France
[5] PALIPED : Equipe Régionale Ressource en Soins Palliatifs d’Île de France